20 mai 2010 à 11:31
Par Monique Crépault
Celia Blay, une Britannique de 65 ans, ne connaît pas grand-chose à la technologie et aux ordinateurs. Ce qui ne l’a pas empêchée de se transformer en cyberdétective et de suivre la piste menant à l’arrestation de William F. Melchert-Dinkel, un cyberprédateur qui hantait les sites de suicide pour pousser les âmes en détresse à passer à l’acte
Celia Blay, 65 ans : sa persévérance a sauvé la vie de bien des internautes.
Cette ancienne professeure d’histoire, aujourd’hui à la retraite, est tombée par hasard sur un forum de suicide il y a quatre ans alors qu’elle venait de se brancher pour prendre part à une discussion académique sur l’histoire médiévale. Elle se met à clavarder avec une adolescente qui confesse être déprimée et avoir fait un pacte de suicide en ligne avec une jeune infirmière, une internaute connue sous le nom de Li Dao.
Heureusement, Celia réussit à convaincre la jeune fille de ne pas se suicider (et cette dernière est toujours en vie aujourd’hui), mais cette rencontre la perturbe tellement que dès lors elle passe de longues heures en ligne pour tenter de réconforter d’autres jeunes en détresse. Elle contacte des membres des groupes internet fréquentés par Li Dao et ce faisant découvre que Li Dao utilise aussi les pseudonymes de Falcon Girl et Cami D.
Pendant des mois, Celia Blay recueille des preuves sur les tentatives en ligne de Li Dao de persuader les internautes désespérés de se joindre à ses pactes de suicide et se pendre en direct devant leurs webcams, mais lorsqu’elle les présente à la police locale de son petit village de Maidenhead, dans le Berkshire, un comté du Sud de l’Angleterre, on lui répond de « regarder ailleurs si ça la dérange »…
Celia Blay décide de poursuivre son enquête et demande à une amie, Kat Lowe, d’entrer en contact avec Falcon Girl pour tenter de découvrir sa vraie identité. Jouant le jeu de la personne suicidaire, Kat Lowe apprend entre autres durant leurs échanges que l’internaute travaille dans la salle d’urgence d’un hôpital américain.
William F. Melchert-Dinkel, 47 ans. Une obsession morbide pour le suicide en ligne…
Puis Falcon Girl fait l’erreur d’utiliser ce qui semble être son adresse courriel personnelle, une erreur qui mène Celia Blay jusqu’à un homme du Midwest américain, un certain William F. Melchert-Dinkel, 47 ans, pratiquant, infirmier, marié et père de deux adolescentes. Forte de ces nouvelles preuves, Celia Blay retourne voir la police britannique, qui les rejette une nouvelle fois, puis vers le FBI qui déclare ne pas avoir le pouvoir d’enquêter là-dessus. Celia s’adresse finalement à la police du Minnesota, l’état où réside Melchert-Dinkel, qui accepte de poursuivre l’enquête.
« Cet homme est malade, a déclaré Celia Blay aux journalistes après l’arrestation de Melchert-Dinkel. Il aime se prendre pour Dieu. Il se fait ami avec les gens sous une fausse identité. Il sympathise avec eux, mais jamais il ne suggère une alternative à la mort, même quand ce sont de jeunes ados qui ne font que vivre les affres inhérentes à leur âge. Jamais il ne leur suggère de voir un médecin, un conseiller ou de chercher une aide professionnelle quelconque ». (traduction libre)
Mark Drybrough, 32 ans, s’est pendu en juillet 2005.
Melchert-Dinkel, qui a été arrêté et inculpé de deux chefs d’accusation d’incitation au suicide, subira son procès le 25 mai prochain. Le premier cas pour lequel il sera jugé concerne Mark Drybrough, un Britannique de 32 ans qui s’est pendu à partir d’une échelle dans sa maison en juillet 2005. La police a retrouvé dans son ordinateur une question qu’il avait posée dans une salle de clavardage sur le suicide, où il demandait comment on pouvait se pendre si on n’avait rien d’assez haut pour accrocher la corde. Une des réponses provenait de Li Dao.
Nadia Kajouji, 18 ans, retrouvée sans vie dans la rivière Rideau.
Le deuxième cas est beaucoup plus près de nous dans le temps et l’espace. En mars 2008, Nadia Kajouji, 18 ans, a disparu de son collège d’Ottawa. La police a enquêté et a retrouvé dans son ordinateur des conversations en ligne avec une certaine Cami. Des courriels ont prouvé que Nadia et Cami avaient décidé de faire un pacte de suicide : Nadia allait sauter d’un pont et Cami se pendrait le jour suivant. Un mois plus tard, le corps de Nadia a été retrouvé dans la rivière Rideau…
Lors de son arrestation, Melchert-Dinkel a déclaré aux enquêteurs qu’il souffrait d’une obsession avec la mort et le suicide et qu’il avait sûrement encouragé des douzaines de personnes à se tuer, mais qu’il ne pouvait pas être sûr combien avaient réussi…
Pour certains, les forums sur le suicide sont comparables aux sites « pro-ana », où l’anorexie est dépeinte comme un style de vie plutôt qu’une maladie (voir mon billet à ce sujet). Selon Papyrus, un organisme de charité britannique qui travaille à la prévention du suicide chez les jeunes, on compte au moins 39 cas en Angleterre seulement de jeunes gens s’étant suicidés après avoir visité un forum « pro-suicide ».
Cette histoire soulève bien des questions par rapport au monde virtuel : est-ce que l’assistance virtuelle au suicide, à l’aide de simples mots, est condamnable au même titre que l’assistance réelle, par le partage d’armes ou de pilules ? Est-ce que la liberté d’expression sur Internet va jusqu’à permettre d’exprimer des pensées qui pousseront au suicide des gens vulnérables qui flirtent déjà avec l’idée ? Quand on pense qu’au Québec seulement quatre personnes se tuent volontairement chaque jour, on peut se demander combien de Celia Blay il nous faudrait pour venir à bout de tout ce qu’Internet recèle de sombre et de sordide…
Source : www.synchro-blogue.com/
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