dimanche 8 mai 2011

Nos petites filles et leurs modèles

Nos petites filles et leurs modèles
Par Sylvie St-Jacques

Adorable ou déplacée
«Les adolescentes à qui j'enseigne sont très préoccupées par leur apparence, constate Nathalie St-Germain, enseignante à la Polyvalente Lucien-Pagé, à Montréal. Même si elles ont peu d'argent, elles en consacrent une grande partie à l'achat de vêtements.»

L'enseignante de 33 ans considère qu'il y a un fossé entre les filles de sa propre génération et celles d'aujourd'hui. «Elles sont beaucoup plus intéressées par la mode que nous l'étions à l'époque, constate-t-elle. Quand j'étais adolescente, on se rebellait en portant des chemises de chasse.»

Selon Pascale Navarro, cette obsession de l'apparence et ce goût pour une mode hyper-standardisée viennent d'un réflexe profondément ancré dans les moeurs féminines et qui consiste à vouloir être conforme à l'image de la femme modèle que propose la société. «De tels archétypes jouent sur l'angoisse de la perfection. De plus en plus d'adolescentes se font refaire les seins pour être parfaites, alors que leur croissance n'est même pas terminée. La féminité qui leur est proposée est faite de clichés et de stéréotypes.»

La plupart des écoles, refusant d'être le lieu de tous les excès, imposent un code vestimentaire. « Mais la chose est loin d'être facile à gérer, note Nathalie St-Germain. Là où j'enseigne, le port d'une camisole qui dévoile le nombril est interdit, mais les filles en portent quand même sous leur veste. Dès qu'elles en ont la chance, elles enlèvent la veste!»

Le rôle des parents
Les parents ont, bien sûr, raison d'intervenir quand ils jugent que la tenue vestimentaire de leur adolescente dépasse les limites du bon sens et de la décence. Mais par où commencer et, surtout, comment aborder la question sans brimer l'individualité de son enfant et sa liberté d'expression à un âge où la quête identitaire prend tellement de place?

À cette question, la psychologue Maria Dudek répond de façon fort simple: l'autorité parentale ne s'improvise pas. Quand on s'est imposé comme parent dès l'enfance de son petit, il est plus facile de négocier avec lui une fois qu'il est devenu ado. De toute façon, à force de dialogue et de négociation, on finit par arriver à quelque chose, surtout quand on donne la preuve au jeune que notre intérêt est sincère et qu'on sait tenir compte de ses besoins psychiques.»

Les «tweens»: des préados-rois
Mais comment les modèles féminins actuels peuvent-ils s'imposer de façon aussi dominante dans la société? Tout ça est possible parce que des adultes y trouvent leur compte. Les tweens sont une mine d'or pour des entreprises comme Gap, Nike, Le Château et compagnie. «On est en train de créer un autre groupe de consommateurs, remarque Pierrette Bouchard. Plusieurs ont compris qu'il y avait de l'argent à faire avec les jeunes.

Certaines études de marché s'intéressent même à la façon dont les préados s'y prennent pour obtenir des sous de leurs parents et comment ils les dépensent.»

Et que faut-il avoir, comme parents, pour faire contrepoids à ces conglomérats et proposer à son enfant d'autres valeurs que celles de la soumission aux diktats de la mode? Des reins solides et un sain rapport d'autorité avec son rejeton, à tout le moins...

Grandir avec les stéréotypes
Et nos filles particulièrement, qui misent tant sur l'apparence? Quels outils sont-elles en train de se donner pour faire face à la vie, une fois adultes? «On naît de sexe féminin, mais on devient la femme que l'on choisit d'être», philosophe Pascale Navarro. «En leur inculquant des valeurs axées sur l'apparence, on apprend aux filles à se définir en fonction du regard des hommes, continue Pierrette Bouchard.

«Je suis inquiète quand je vois à quel point nos jeunes filles sont centrées sur l'image et le paraître, continue Mme Bouchard. L'apparence est importante et peut même être un atout. Mais on ne forme pas des individus solides en leur disant que c'est là une valeur centrale. Ça n'augure rien de bon pour l'estime de soi et pour la vie relationnelle. Si elles s'engagent dans une relation de couple avec pour seul bagage leur pouvoir de séduction, la relation peut difficilement s'approfondir et il ne leur restera pas grand-chose si la relation se brise. Ça fera d'elles des femmes drôlement malheureuses.»

Refuser les diktats
Lutter contre le discours ambiant et les messages qui envahissent l'espace public n'est pas facile. Pourtant, encourager son jeune à développer une pensée critique est le meilleur cadeau qu'un parent puisse lui faire. «L'une des tâches des parents et des enseignants est d'initier les jeunes à la consommation afin qu'ils ne cèdent pas à tous les courants, considère Pierrette Bouchard qui, avec d'autres chercheurs, travaille à la conception d'outils et de documents pédagogiques sur le sujet. Il faut leur apprendre à ne pas tout prendre pour du cash, à poser des questions. Il faut leur faire voir qu'il existe une diversité de modèles. Il faut les aider à être bien dans leur peau, et ça, ça ne s'achète pas. C'est bien plus profond que l'apparence.»

Éduquer et faire passer ses messages, c'est bien. Mais encore faut-il donner soi-même l'exemple. «Plusieurs femmes adultes s'habillent comme des petites filles, remarque Pascale Navarro. Comment encourager l'esprit critique et apprendre à son adolescent à résister à la dictature de la mode et de la consommation si on n'a pas fait soi-même son bout de chemin à ce propos ?»

Dans son essai sur la modestie féminine, la journaliste insiste à plusieurs reprises sur la pertinence de la théorie féministe pour forger une société plus égalitaire et, surtout, libérée du joug de la mode et des stéréotypes. «On remarque actuellement une grande dévalorisation de l'humanisme, de la pensée et de l'engagement. La fascination des gens pour les marques est à cet effet très révélatrice. Les marques sont les déléguées de la puissance. Les porter est devenu un symbole d'existence, une façon de faire sa place. Mais un être humain, tout comme une société, ne grandit pas en adhérant à une telle superficialité. Ça prend quelque chose de plus engageant.»

Après avoir connu ses heures de gloire dans les années 1970 et 1980, le féminisme a été fortement mis à l'épreuve. Plusieurs sont d'avis que les femmes sont allées trop loin et qu'elles doivent désormais modérer leurs ardeurs puisque l'égalité des sexes est (en apparence) un fait accompli. Le féminisme projette toujours une image péjorative. Le fait de s'interroger sur l'attitude de nos jeunes filles face à la séduction est perçu par plusieurs comme vieux jeu, puritain et rétrograde.

«Au Québec, nous avons une importante tradition de militantisme et d'engagement communautaire, remarque Pascale Navarro. Mais, souvent, la réflexion est considérée comme quelque chose de superflu. Il existe un anti-intellectualisme latent, associant les femmes qui réfléchissent à des pelleteuses de nuages.» Bien sûr, il ne s'agit pas de revenir aux valeurs puritaines d'autrefois, qui faisaient du corps un objet de péché.

Mais n'est-il pas normal de s'inquiéter de l'avenir de nos filles et de chercher des moyens de leur apprendre à ne pas se laisser piéger au jeu des apparences, à ne pas se définir à partir du regard que l'homme porte sur elles?


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