dimanche 8 mai 2011

Hausse de 10 % des contestations à l'IVAC - Fragiles victimes en quête de droit

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Yves Lavertu 

 « Je pense qu'il y a des dossiers où les droits sont perdus parce que les gens sont tellement pris dans leur problématique psychologique qu'ils n'ont pas la force de répondre aux fonctionnaires, et ne savent même pas comment. » 

Me Maurice Chayer ne possède pas les chiffres sur le nombre de victimes d'actes criminels qui, en raison de leur état, abandonnent ou n'entreprennent même pas les démarches pour se prévaloir des indemnisations auxquelles elles ont droit. Toutefois, l'avocat montréalais s'en dit convaincu : faute d'être encadrées assez tôt par des ressources juridiques, psychologiques ou autres, un certain nombre d'entre elles n'apparaissent pas dans les statistiques, tandis que d'autres disparaissent de l'écran radar du programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC). 


Me Maurice Chayer
Méthode : pas de nouvelles, bonnes nouvelles

« C'est une machine, dit-il en parlant de l'IVAC, on envoie des lettres, on n'a pas de réponse, on ferme le dossier. »
Le juriste a suffisamment défendu de victimes dans des cas d'agressions sexuelles ou physiques pour connaître la détresse dans laquelle elles se trouvent. « J'ai connu une victime, raconte-t-il, à qui il a fallu quasiment deux ans avant de réussir à contacter un avocat. » Une autre vivait une dépression nerveuse au moment où elle devait communiquer avec l'IVAC. « Ces personnes reçoivent une lettre dans laquelle on leur demande telle ou telle clarification. Elles ont de la difficulté à s'occuper d'elles-mêmes physiquement ainsi que de leur vie quotidienne. Et il faut qu'elles courent après des documents. »

Tous les clients de Me Chayer ont finalement trouvé assez d'énergie pour décrocher le téléphone et pour venir à un premier rendez-vous. « Maintenant, commence-t-il toujours par leur dire, vous avez un conseiller légal. On va essayer de vous obtenir ce à quoi vous avez droit. » Mais il y en a qui ne réussissent pas à sortir de leur domicile. Certains vivent seuls et sont isolés. D'autres sont analphabètes.

David c. Goliath

Mme Arlène Gaudreault, présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes, un organisme voué à la promotion des droits de ces personnes, estime que les avocats ont un rôle accru à jouer dans les rapports qu'entretiennent les victimes avec l'appareil de l'IVAC. Elle trouve « très utile » le travail que les membres du Barreau peuvent accomplir pour accompagner et conseiller les victimes qui ont choisi de contester les décisions de l'IVAC devant le Tribunal administratif du Québec. 


Mme Arlène Gaudreault, présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes et chargée de cours en victimologie à l'École de criminologie de l'Université de Montréal 
Le système judiciaire, avec ses experts et ses contre-experts, peut être écrasant pour des personnes seules, souligne-t-elle. Celles-ci se retrouvent devant une instance dont elles ne comprennent pas toujours le rôle ni le jargon. Déjà fragilisées, elles risquent de s'embourber davantage. « Car, pendant ce temps-là, note-t-elle, leur situation psychologique ne s'améliore pas. Elle se détériore. C'est David contre Goliath. C'est le petit citoyen qui se bat contre une grosse machine. Je ne voudrais pas être prise là-dedans, même si je suis capable de me défendre. »
Dans les dossiers complexes, la présidente de Plaidoyer-Victimes voit d'ailleurs d'un bon œil la présence des avocats non seulement sur le parquet du tribunal, mais aux étapes qui précèdent le choix d'en appeler de la décision de l'IVAC.
Coordonnatrice des stages et chargée de cours en victimologie à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, Mme Gaudreault croit que les universités devraient davantage se soucier de l'enseignement du droit des victimes aux étudiants.

Demandes en hausse

Doté d'un budget annuel de 58 millions de dollars, le programme québécois d'indemnisation des victimes d'actes criminels a vu bondir de 18 % le taux de demandes de prestations au cours des trois dernières années comptabilisées. Les réclamations les plus fréquentes concernent les crimes commis au sein de la famille. On parle surtout de violence conjugale, d'agressions à caractère sexuel, d'inceste, de voies de fait et d'agressions armées. 

15 % dans le dalot

Environ 11 750 dossiers sont présentement actifs à l'IVAC. Parmi les 4 635 nouvelles demandes de prestations étudiées en 2003, 66 % ont été acceptées, 19 % ont été rejetées, tandis que 15 % se sont vues classées dans la catégorie « désistement/désintéressement », termes désignant les dossiers de personnes qui ne donnent pas suite à leurs démarches. 

Enfin, il faut signaler une hausse de 10 % par rapport à l'année précédente du nombre de cas de contestation de décisions.

Formation aux avocats

M. Pierre-Hughes Boisvenu, président de l'Association des familles victimes d'actes criminels, espère voir se tisser des liens plus étroits entre les victimes et le milieu juridique québécois. En France, souligne-t-il, des sessions de sensibilisation et de formation sont offertes aux avocats pour les initier aux problèmes que vivent ces gens. 


M. Pierre-Hughes Boisvenu, président de l'Association des familles victimes d'actes criminels 

Avocats engagés

La nouvelle association que préside le père de Julie Boisvenu, assassinée à Sherbrooke en 2002, bénéficie des services bénévoles de deux conseillers juridiques, Me Raphaël Schachter et Me Marc Vaillancourt. Deux autres avocats de Montréal viennent par ailleurs de proposer leur aide. 

Repenser l'IVAC

En novembre dernier, M. Boisvenu et trois autres pères de famille éprouvés par le meurtre ou la disparition d'un enfant ont rencontré le ministre de la Justice Jacques P. Dupuis. Ils l'ont notamment incité à tenir, dès le printemps 2005, une commission parlementaire sur la refonte de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels
Dans ce dossier, la nouvelle association de M. Boisvenu travaille de concert avec le Regroupement des innocentes victimes du crime organisé (RIVCO), un organisme présidé par l'ancien journaliste Robert Monastesse, qui a subi une tentative d'assassinat pour ses reportages sur les motards criminels.
Parmi les améliorations réclamées, on souhaite l'inclusion dans la loi de la notion de « victimes collatérales » afin que soient reconnues comme victimes les membres de la famille de la personne assassinée ou disparue.

L'IVAC et l'humain

L'Association milite aussi pour des réformes qui concernent l'ensemble des victimes d'actes criminels. « Mes rapports avec l'IVAC, après la mort de Julie, déplore M. Boisvenu, ont été deux timbres de 45 sous. Un timbre pour écrire et me plaindre du traitement des victimes : j'ai reçu une réponse laconique de la part du vice-président de l'IVAC. Et ensuite, un timbre pour envoyer le certificat de décès de Julie. Jamais personne de l'IVAC n'a appelé notre famille. Jamais on n'a reçu un message de sympathie de leur part. Et lorsqu'on appelait, on tombait dans une boîte vocale. Il faut humaniser ces services-là. » À cette fin, M. Boisvenu propose que l'IVAC soit décentralisée vers les centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC). 

Plaidoyer du Barreau

Le Barreau du Québec demande aussi une révision du régime d'indemnisation actuel. L'ordre professionnel plaide pour une harmonisation de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels avec la Loi sur l'assurance automobile et la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles

Le Barreau souhaite également une extension, dans une nouvelle législation, de la notion de « victime » dans le but d'englober les proches. Enfin, il recommande une hausse du niveau d'indemnisation des personnes admissibles.

Indemnisation ou moquerie ?

L'émergence récente sur la scène publique de nouvelles associations comme celles de MM. Boisvenu et Monastesse est significative aux yeux du bâtonnier du Québec, Denis Mondor. Ce phénomène, estime-t-il, a « le mérite de sensibiliser la population au drame vécu par certaines victimes et par leurs proches, tout en dénonçant les lacunes à pallier dans le système : pensons seulement au montant dérisoire de 600 $ versé aux proches d'une victime décédée pour couvrir les frais funéraires… » 


Le bâtonnier du Québec, Denis Mondor, estime important qu'une victime d'acte criminel ait un témoin qui puisse assurer que la déclaration reproduite à partir des notes du représentant de l'IVAC est fidèle et exacte 

Obligations de l'avocat

Il est important toutefois pour ces groupes, tient à ajouter Me Mondor, de consulter des juristes pour éviter que des droits ne soient perdus. 

L'avocat, fait-il valoir, a un rôle important à jouer dans ce domaine. Il doit tout d'abord diriger vers l'IVAC son client victime d'un acte criminel, et cela dans les délais impartis. Il doit ensuite pouvoir le renseigner sur la possibilité d'engager des poursuites judiciaires non seulement au criminel, mais également en matière civile. Parallèlement à cela, il se doit de l'informer de l'impact que ce choix aura sur son dossier à l'IVAC. 

Nécessité d'un témoin devant l'IVAC

D'autre part, l'avocat peut épauler cette personne en l'assistant lors de l'interrogatoire habituel conduit par un fonctionnaire de l'IVAC. « Ces entretiens n'étant pas sténographiés, précise Me Mondor, il devient important d'avoir un témoin (l'avocat) qui puisse aider le client à s'assurer que sa déclaration, reproduite à partir des notes du représentant de l'IVAC, soit fidèle et exacte. » 

Les services d'un avocat, enchaîne-t-il, peuvent aussi s'avérer d'un bon secours afin de brosser à la victime un tableau complet de ce qu'elle peut réclamer en vertu du régime d'indemnisation.

Très courts délais

Enfin, une fois rendu le verdict de l'IVAC, le conseiller juridique a les compétences requises pour aviser prestement son client de l'opportunité ainsi que des conséquences d'en appeler de la décision. Car, à ce chapitre, rappelle Me Mondor, les délais d'appel sont très courts.

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