samedi 30 juillet 2011

Quinze ans après, les femmes violées pendant la guerre en Bosnie souffrent toujours

PRESSE/LIBAN



lundi 8 novembre 2010 par BH Info - 0
L’Orient du Jour

Au moins 20 000 femmes, en majorité musulmanes, ont été abusées sexuellement lors du sanglant conflit intercommunautaire. Reportage

Enisa Salcinovic prend six médicaments différents par jour et passe des journées entières devant son téléviseur à regarder les programmes sportifs, du basket au rugby, dont elle connaît toutes les équipes : le meilleur moyen pour elle de ne pas revenir en pensée à ce qui s’est passé en juin 1992. Son mari Nusret venait d’être emprisonné par les Serbes. Il allait être exécuté quelques jours plus tard. Un ancien collègue de son époux, un Serbe, débarque un jour chez elle. « La première fois, il a abusé de moi devant mes parents. Après, il m’a violée à chaque fois qu’il venait », raconte Enisa, qui fond en larmes et serre des mains tremblantes. « Une partie de moi est morte (...) C’est une honte que je ne peux supporter », poursuit cette femme âgée aujourd’hui de 55 ans et mère de deux enfants.

Quinze ans après la guerre de 1992-1995 en Bosnie, la douleur, la peine et la honte minent toujours les femmes violées pendant le conflit, encore hantées par le souvenir de ces instants où leurs vies ont été détruites à jamais.

Enisa Salcinovic est l’une des 20 000 femmes au moins, en majorité des musulmanes, à avoir été abusées sexuellement lors du sanglant conflit intercommunautaire. À Foca, la ville natale d’Enisa, les soldats et paramilitaires serbes ont emprisonné, violé et torturé pendant des mois des centaines de femmes musulmanes. Les exactions se produisaient dans un gymnase, juste à côté du poste de police. Le drame des femmes violées de Bosnie, mais aussi des exactions similaires au Rwanda et en Afrique de l’Ouest dans les années 1990 ont conduit le Conseil de sécurité de l’ONU a adopter, il y a dix ans, une résolution spécifique, la résolution 1325, appelant toutes les parties à prendre des mesures pour protéger les femmes victimes de violences sexuelles et de viols dans les situations de conflit.

L’objectif est de stigmatiser

« L’un des objectifs de la torture est de stigmatiser (la victime) et il est normal que les gens essayent de protéger leur dignité en passant leur calvaire sous silence », explique à l’AFP Dubravka Dizdarevic Salcic, une neuropsychiatre à l’hôpital de Sarajevo. « Il y a un pacte du silence. On suppose que quelque chose s’est passé. Mais on n’en parle pas », ajoute-t-elle. « Certaines familles ont implosé après l’aveu de la femme qu’elle avait été violée. Les maris n’ont pu accepter cela », poursuit Mme Dizdarevic Salcic, en soulignant combien il est difficile pour les femmes violées de s’épanouir à nouveau. « Si vous tuez la féminité chez une femme, il est très difficile de guérir de cette épreuve. L’objectif (du violeur) de détruire la sexualité (de ses victimes) est atteint », relève-t-elle.

Le témoignage d’Enisa recoupe celui d’autres victimes, abusées souvent par un voisin, une personne qu’elles connaissaient parfois depuis l’enfance, voire fréquentaient avant la guerre. Bakira Hasecic se souvient comment son voisin, qui allait à la pêche avec son mari, est arrivé chez elle, à Visegrad, le 27 avril 1992, avec deux soldats serbes. L’un d’eux s’est emparé de sa fille, Amela, qui avait 18 ans, et l’a violée dans une pièce à côté. Bakira sera violée à son tour dans une cave par un camarade d’enfance, puis à nouveau à l’issue d’un interrogatoire de police.

Sous la pression d’associations de victimes et d’ONG, le gouvernement de la Fédération croato-musulmane de Bosnie a adopté en 2008 une loi reconnaissant aux femmes violées le statut de victimes de guerre. Elle prévoit une aide financière mensuelle de 260 euros et des facilités pour avoir accès à des soins médicaux. Une stratégie visant à accorder dans l’ensemble du pays le même statut aux femmes victimes de la guerre est en cours d’élaboration par différentes ONG, en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour la population (UNPFA) et le gouvernement bosniaque.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire