samedi 30 juillet 2011

Le harcèlement sexuel au travail

Par Me Anne-Marie Plouffe
Commission des normes du travail


Ce n’est pas une plaisanterie.
Ce n’est pas du flirt.

C’est des gestes, des paroles, des actions qui offensent, qui intimident, qui humilient.

Contrairement au flirt qui rehausse l’estime de soi, le harcèlement sexuel abaisse la victime. C’est un acte de violence.

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 2004, des dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique, les salariés bénéficient d’un droit à travailler dans un milieu exempt de harcèlement psychologique et disposent d’un nouveau recours pour garantir le respect de ce droit.

Les employeurs ont aussi de nouvelles obligations. Non seulement doivent-ils prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement psychologique lorsqu’il est démontré, mais encore doivent-ils le prévenir !

Bien que la Loi sur les normes du travail parle de « harcèlement psychologique », il est acquis que lorsque les incidents invoqués par le salarié sont de nature sexuelle et sont prouvés, ils constituent bien du harcèlement psychologique au sens de l’article 81.18 de la loi. (Guillaume St-Hilaire-Gravel c. 9165-8526 Québec inc., [2008] C.R.T., Québec, 0364)
Comment reconnaît-on le harcèlement sexuel ?
Afin de répondre à cette question, il est indispensable de recourir à la définition prévue par l’article 81.18 de la loi :
« ... on entend par "harcèlement psychologique" une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »Dans l’affaire Jean-Claude Pierre-Louis c. Syndicat des copropriétaires de Tropiques Nord, 1 Montréal, Phase 1, [2008] C.R.T., Québec, 0059, la Commission des relations du travail analyse cette définition :« Deux formes de harcèlement psychologique sont ainsi définies, soit celle de la conduite vexatoire, qui peut se traduire de diverses manières et qui implique le caractère répétitif des manifestations de harcèlement, et celle de la conduite grave, qui, bien qu’unique, produit un effet nocif continu dans le temps. La personne qui allègue avoir fait l’objet de harcèlement doit démontrer qu’elle a été l’objet d’une de ces deux conduites, qui a porté atteinte à sa dignité ou à son intégrité et entraîné un climat de travail malsain.

Qu’entend-on par "conduite vexatoire" ?

La jurisprudence considère qu’il s’agit d’une attitude ou de comportements qui blessent ou humilient quelqu’un dans son amour-propre. Pour éviter de tomber dans une perspective purement subjective, la preuve doit s’apprécier selon le point de vue de la victime raisonnable, placée dans les mêmes circonstances (Habachi c. CDPDJ, [1999] R.J.Q. 2522 ; Breton c. Compagnie d’échantillons National ltée, [2006] C.R.T., Québec, 0601). Le plaignant ne peut donc se contenter d’allégations vagues ou générales, sans les étayer par une preuve précise et prépondérante. »

Il faut analyser globalement les comportements, les paroles, les actes ou les gestes reprochés afin de déterminer s’ils sont hostiles ou non désirés. Il ne faut pas se limiter à examiner chaque événement au cas par cas.

Cette analyse s’effectue en prenant comme référence la personne raisonnable, diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances que la victime. Bien que la perception de la victime soit pertinente, elle ne sera pas pour autant déterminante.

Le harcèlement sexuel pourrait notamment se présenter sous les formes suivantes :
  • des contacts physiques non désirés, tels que des attouchements, des pincements, des empoignades, des frôlements
  • la sollicitation de faveurs sexuelles non désirées
  • des commentaires inappropriés d’ordre sexuel, des remarques sur le corps de la victime ou sur son apparence, des plaisanteries qui dénigrent l’identité sexuelle ou l’orientation sexuelle de la victime
  • des questions intimes
  • des regards concupiscents, notamment dirigés sur les parties sexuelles de la victime
  • des sifflements
  • l’affichage de photographies pornographiques.

Il faut retenir que la répétition d’actes n’est pas requise pour établir le harcèlement. Le second paragraphe de l’article 81.18 établit clairement qu’un acte unique, « une seule conduite grave » peut constituer du harcèlement.

Dans tous les cas, la victime aura le fardeau de démontrer l’atteinte à sa dignité ou à son intégrité psychologique ou physique entraînant un milieu de travail néfaste.

La victime devra aussi démontrer l’effet nocif continu sur sa personne lorsque le cas relève de la seule conduite grave.

À titre d’exemple, la Commission des relations du travail a accueilli une plainte fondée sur un acte unique dans l’affaire Suzanne Houle c. 9022-3363 Québec inc. (Le Pub St-Donat enr.), [2007] C.R.T., Québec, 0348. Dans cette affaire, lors d’une fête de Noël, l’employeur avait pris un glaçon dans un pichet d’eau, avait glissé sa main et le glaçon sous le chandail de la plaignante touchant ainsi le sein de cette dernière.

La Commission des relations du travail précise que le droit à la dignité de la personne n’exige pas que la preuve soit faite de l’existence de conséquences définitives ou d’effets de nature permanente sur la victime. La cour distingue aussi les concepts de dignité et d’atteinte à l’intégrité :

« L’atteinte à l’intégrité psychologique ou physique doit (1) laisser des marques ou des séquelles qui dépassent un certain seuil et (2) occasionner un déséquilibre physique, psychologique ou émotif plus que fugace, sans qu’il soit nécessaire que cela soit permanent. En toute logique, il est raisonnable de conclure que l’atteinte à la dignité ainsi que celle à l’intégrité psychologique ou physique doivent être plus que fugaces, mais que l’atteinte à la dignité vise les situations qui se situent sous le seuil de l’atteinte à l’intégrité. »

Enfin, dans les cas d’acte unique, la victime devra aussi démontrer que l’atteinte a produit un effet nocif continu.
La cour considérera non seulement la nature et l’intensité de la conduite grave, mais aussi son impact sur la victime. Les préjudices physiques, psychologiques et financiers seront alors pris en compte.

La Cour suprême du Canada reconnaît expressément que l’employeur peut être tenu responsable des actes commis par ses employés lorsqu’ils sont liés de quelque manière à l’emploi. (Robichaud c. Canada (Conseil du trésor), [1987] 2 R.C.S. 84)

Lorsque la victime dénonce les événements, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser la conduite fautive. D’ordinaire, l’employeur tiendra une enquête dans le milieu de travail. Aussi, il est fortement recommandé à la victime de tenir un journal des événements précisant tous les éléments lui permettant de relater dans le détail le harcèlement sexuel subi (date, lieu, événement, témoins présents, etc.) et de faire la preuve de la conduite fautive. Ce journal sera d’autant plus utile si un recours est ensuite exercé puisque la victime aura toujours le fardeau de démontrer, par prépondérance des probabilités, la conduite constitutive de harcèlement.

À la suite d’une enquête menée de façon objective, l’employeur devra agir en adoptant les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement et en sanctionnant l’auteur du harcèlement.

Si l’auteur du harcèlement est l’employeur lui-même, la situation sera plus délicate… Dans tous les cas, la victime pourra se prévaloir de son recours précisé aux articles 123.8 et suivants de la Loi sur les normes du travail en déposant une plainte adressée à la Commission des normes du travail.

Cette plainte devra obligatoirement être déposée dans les 90 jours suivant la dernière manifestation de la conduite constitutive de harcèlement. Ce délai est un délai strict et de rigueur : l’inobservance entraînera la perte du droit.

Par contre, il faut noter que la Commission des relations du travail pourra examiner des faits antérieurs au délai de prescription pour mettre en contexte les événements survenus dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte :

« Le temps est de l’essence du harcèlement : c’est une faute qui comporte une durée. Le harcèlement est le résultat cumulé d’un certain nombre de gestes plus ou moins graves qui ont un caractère répétitif et persistant. Les premiers gestes peuvent paraître inoffensifs ou de peu d’importance. C’est l’accumulation des incidents qui, en rétrospective, fait apparaître leur véritable importance. Une preuve de harcèlement s’accommode mal du cadre étroit d’une limite temporelle trop courte. Les incidents qui composent le harcèlement constituent un tout et il suffit en principe que des événements significatifs tombent dans le cadre temporel convenu pour que soit admise la preuve de l’ensemble du comportement répréhensible de l’auteur du harcèlement. » (Hippodrome de Montréal c. Syndicat des employés de service de l’entretien de l’Hippodrome de Montréal, D.T.E. 2003T-133)

À la suite du dépôt de la plainte, une enquête est menée par la Commission des normes du travail. Le but de cette enquête est de vérifier le bien-fondé de la plainte. Il sera alors possible aux parties de bénéficier des services d’un médiateur afin de tenter de régler à l’amiable le litige.

À la fin de l’enquête, si la plainte est jugée irrecevable, le salarié dispose d’un droit de révision de la décision d’irrecevabilité. Si toutefois la plainte est jugée recevable et que la médiation n’a pas porté fruit, la Commission des normes du travail transférera le dossier à la Commission des relations du travail, tribunal administratif chargé d’entendre les parties et de disposer du litige.

Après avoir entendu la preuve des deux parties, la Commission des relations du travail rendra une décision écrite. Si la conclusion est à l’effet que le salarié a été victime de harcèlement sexuel et que l’employeur n’a pas respecté les obligations qui lui incombent, la Commission des relations du travail aura le pouvoir de rendre toute décision juste et raisonnable. Entre autres, mais de façon non limitative, l’article 123.15 de la loi prévoit qu’elle pourrait :
  • ordonner la réintégration du salarié dans son emploi
  • ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité correspondant au salaire perdu, le cas échéant
  • ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement
  • ordonner à l’employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux
  • ordonner à l’employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d’emploi
  • ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’elle détermine, et
  • ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié.

En ce qui a trait aux dommages pouvant être réclamés par la victime, ils pourront être de deux ordres.
  1. Des dommages moraux visant à indemniser pour l’humiliation, la souffrance et la perte de qualité de vie subies par la victime. Cette dernière aura le fardeau de démontrer l’ampleur du préjudice moral subi. Notons que dans une décision récente rendue par la Commission des relations du travail, une victime s’est vue octroyer la somme de 15 000 $ à ce titre. (Constance Castonguay c. Gestion A. Bossé inc. [2008] C.R.T., Québec, 0399).
  2. Des dommages-intérêts exemplaires (ou dommages punitifs) pourront aussi être réclamés. Ceux-ci visent à « punir » l’auteur du harcèlement psychologique et sexuel pour sa conduite malveillante et pour son intention de nuire à la victime. Ils visent aussi à dissuader l’employeur à récidiver. Dans l’affaire précitée, après analyse de la preuve, la Commission des relations du travail ordonnait le paiement de la somme de 10 000 $ à ce titre (Castonguay, voir ci-dessus).

Enfin, tout au cours de ses démarches, le salarié aura assurément besoin de soutien. Dans les cas où l’employeur ne dispose pas de programme d’aide aux employés, le salarié pourra bénéficier des services du Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec inc.

Cet organisme à but non lucratif a comme principal objectif de briser l’isolement des victimes de harcèlement sexuel et de sensibiliser la population sur la problématique du harcèlement. Pour de plus amples informations, consultez le site Internet de cet organisme au www.gaihst.qc.ca.

Source : http://www.cnt.gouv.qc.ca/centre-de-documentation/chroniques/articles-rediges-par-des-specialistes-de-la-cnt-pour-des-revues-externes/le-harcelement-sexuel-au-travail/

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