Son travail dans un grand hôtel est vécu comme une transgression par la communauté guinéenne de New York. Par Marie-France Etchegoin.
La femme de chambre de l'hôtel Sofitel de Manhattan, une Guinéenne de 32 ans mère d'une fille de 15 ans, qui accuse "DSK" de l'avoir agressée, a témoigné mercredi devant la chambre d'accusation (Grand jury). (c) Afp
· Réagir
De notre envoyée spéciale à New York
"Jamais nous n’aurions pu imaginer qu’une guinéenne de surcroit illettrée puisse travailler dans un hôtel international". L’homme qui confie aujourd’hui son étonnement au Nouvel Observateur s’appelle Souleymane Diallo (sans lien de parenté avec la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn). Il est le président de l’Union pour le Développement du Fouta Djallon, l’une des quatre associations représentant les 5.000 Guinéens de New- York. Et il ne "s’explique pas" comment l’accusatrice de DSK, Nafissatou Diallo, "a pu décrocher un job au Sofitel".
Pourtant depuis le début de l’affaire, il n'a pas ménagé son soutien à la jeune femme après, dit-il, avoir mené sa "propre enquête" sur son parcours et sa personnalité. "Si nous avions trouvé le moindre élément défavorable à son sujet, notre association ne se serait jamais engagée auprès d’elle. Nous ne pouvons pas prendre le risque d’être salis par un mensonge aussi grave" affirme-t-il, à quelques jours de l’audience du 6 juin où l’ex président du FMI annoncera s’il plaide ou non coupable.
Selon Souleymane Diallo, Nafissatou Diallo est une "femme honnête et travailleuse, ne songeant qu'à assurer les études et l'avenir de sa fille âgée de 16 ans".
"Cela ne se fait pas de travailler dans un hôtel"
Pourtant, assure-t-il, son emploi au Sofitel la distingue des Guinéennes émigrées aux Etats-Unis, en particulier de celles qui appartiennent, comme elle, à l’ethnie peule : "Je n’en connais aucune autre qui occupe ce genre d’emploi. Ici, les femmes peules travaillent avec leurs maris dans leurs propres petits commerces ou restaurants. Ou alors elles sont employées par des associations d’aide ménagère auprès de personnes âgées. Dans la culture peule, cela ne se fait pas de travailler dans un grand hôtel."
En allant gagner sa vie sur la Cinquième avenue, Nafissatou Diallo a échappé au destin généralement dévolu aux femmes de sa communauté et dérogé aux traditions.
Apparemment même les proches de la jeune femme ignoraient qu’elle avait été embauchée dans l’établissement de Times Square il y a trois ans. C’est ce qui ressort de l’"enquête" menée par le président de l’association auprès des employés de l’hôtel, des voisins, ou de la famille de Nafissatou Diallo avec qui il est en contact permanent.
"Jusqu’en 2008, Nafissatou vivait chez sa sœur aînée dans le Bronx, explique-t-il. Quand elle a trouvé son emploi de femme de chambre, elle a déménagé avec sa fille en prétextant simplement que l’appartement était trop petit pour accueillir tout ce monde."
"Elle ne trouvera plus jamais de mari"
Femme de chambre dans un hôtel de luxe ? Le "rêve américain" pour une petite immigrée, fille de pauvres agriculteurs des hauts plateaux, jamais scolarisée, parlant à peine anglais... Aujourd’hui pourtant, dit encore Souleymane Diallo, cet emploi "exceptionnel", révélé par l’affaire DSK, vaut à Nafissatou les reproches d’une partie de sa communauté. Le viol qu’elle dit avoir subi viendrait punir sa transgression. En outre, dans la culture peule, il la condamne au déshonneur. "Elle ne trouvera plus jamais de mari" se désole Souleymane Diallo qui œuvre pour faire évoluer les mentalités.
Dimensions planétaires
Pour lui, l’enjeu de ce fait divers aux dimensions planétaires va bien au delà du "drame vécu par Nafissatou". Ce quadragénaire installé à New York depuis dix ans vient de la même région que la femme de chambre et comme elle, il est Peul. "Si Dominique Strauss Kahn a été accusé à tort, notre communauté en paiera le prix, en Amérique mais aussi en Guinée" s’inquiète-t-il.
Depuis l’accession du pays à l’indépendance, les Peuls ont en effet été victimes de répression à plusieurs reprises et sous tous les régimes. Encore récemment, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé des massacres et des viols collectifs. L’élection du président Alpha Condé (issu de l’ethnie Malinké), en 2010, n’a pas apaisé les tensions qui divisent aussi les Guinéens immigrés aux Etats – Unis. L'affaire DSK attise à nouveau les conflits.
"Honte" à la Guinée
Il y a quelques jours, Sano Doussou Condé, la responsable de la section new yorkaise du parti au pouvoir à Conakry, n’a pas hésité à affirmer que Nafissatou Diallo était "manipulée" et qu’elle faisait "honte" à la Guinée.
Après avoir rendu hommage à l’ex patron du FMI et à son "action en faveur des pays en développement", elle a dit tout haut ce que certains de ses compatriotes ne font que murmurer : "Je suis humiliée qu’une femme africaine adopte une culture américaine pour déclarer en public qu’elle a été violée... Honnêtement je n’y crois pas. Je suis profondément touchée et malheureuse pour la famille de Dominique Strauss Kahn, et surtout pour sa femme". Souleymane Diallo, lui, ne voit que basse politique dans ces déclarations. Et les prémisses des violentes attaques que Nafissatou Diallo risque de subir dans les semaines et les mois qui viennent.
Marie-France Etchegoin - Le Nouvel Observateur
Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/l-affaire-dsk/20110603.OBS4444/affaire-dsk-la-mysterieuse-nafissatou-diallo.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire