J’ai eu le plaisir de discuter avec Maritée à son retour de France où elle présentait son livre lors d’un colloque sur les violences sexuelles.
D : Bonjour Maritée. Tu participais au colloque de l’association « Mémoire Traumatique et Victimologie » à Paris le 10 novembre et y présentais ton livre… Comment cela s’est-il passé? Comment ton témoignage et ton livre ont-ils été reçus?
M : Tout d’abord, il me faut préciser que la présidente de l’association qui a organisé ce colloque est la Dr Muriel Salmona, psychiatre et chercheure en victimologie. Elle a lu mon livre, a dit qu’il illustrait en tous points ses travaux et en a écrit la préface pour une 2e édition que j’ai apportée avec moi à Paris à tirage limité. Mon témoignage et mon livre ont connu un franc succès. À ce que l’on m’a dit, mon témoignage a ému beaucoup de monde et plusieurs m’ont remercié d’avoir écrit ce livre.
D : Pourquoi as-tu écrit ce livre? Quel message voulais-tu transmettre, faire comprendre?
M : Je voulais mettre l’emphase sur le fait qu’il est possible d’avoir tout oublié de sévices sexuels subis dans la famille durant l’enfance pour ne s’en rappeler que des décennies plus tard à l’âge adulte. Aussi, que les pires sévices peuvent avoir été commis par des gens qui ont des apparences irréprochables et des positions bien considérées dans la société. Et finalement et non le moindre, de ne pas avoir été secourue étant enfant, parce « supposément » personne ne s’en était rendu compte, c’est une chose, mais de ne pas être crue et comprise, voire même harcelée lorsque les souvenirs reviennent, a un impact très grave sur la santé et la vie de la victime à tous les niveaux et peut même conduire au suicide.
D : Qu’est-ce qui a été le plus difficile à écrire, à dire? Pourquoi?
M : Je ne dirais pas que cela a été difficile d’écrire. Au contraire, c’était pour moi une « délivrance » de pouvoir enfin DIRE la VÉRITÉ. J’avais enfoui cela tellement longtemps que j’avais envie de le crier, de le hurler au monde entier. Le plus difficile a été et demeure encore le manque d’intérêt au Québec de la part du monde de l’édition et des médias pour ce témoignage et pour la problématique en général, car j’ai dû finir par m’autoéditer. De voir qu’un récit qui peut aider beaucoup à y voir clair (j’ai reçu beaucoup de témoignages à cet effet) reçoive aussi peu de considération. Il aurait fallu que je sois une personnalité connue pour qu’on veuille l’éditer ou en parler dans les médias. Ou encore que je rajoute plein de détails scabreux pour qu’il fasse un ouvrage à sensation. Mais des portes sont en train de s’entrouvrir dans le monde de l’édition en France. « Nul n’est prophète en son propre pays …»
D : Tu avais occulté les agressions subies dans ton enfance. Il existe beaucoup de préjugés à cet effet… Que penses-tu de l’hypothèse des faux souvenirs?
M : Je qualifie cette théorie de meurtrière et je n’exagère pas! Lorsque j’ai commencé à me souvenir, elle a donné des munitions à mon abuseur (mon père) pour se défendre et entraîner toute ma famille et son entourage à penser comme lui. Ma première thérapeute et moi-même avons même été harcelées sur la base de cette théorie qui, je crois, ne s’applique que dans de rares cas. C’est tellement difficile de se faire dire que les horreurs qui émergent spontanément à notre conscience sont fausses!! Surtout que je ne savais pas du tout ce qu’il m’arrivait, ne sachant pas moi-même qu’on pouvait avoir occulté. Beaucoup de professionnels que j’ai côtoyés ne m’ont pas du tout aidée, au contraire, en taxant tout de suite ce qui remontait de faux souvenirs. J’ai souffert de flashbacks émotionnels et corporels d’une violence inouïe et qui ont duré plus de 10 ans jusqu’à ce que je coupe définitivement les liens avec ma famille et « leur » théorie. Cette théorie m’a nui considérablement en mettant sans cesse un frein à la reconstitution des souvenirs nécessaire à ma guérison, car qui croire? Ce qui émergeait spontanément ou ce que disaient les personnes de ma famille, que j’aimais toujours ou des professionnels haut gradés? De quoi devenir dingue et surtout vouloir mourir. La raison pour laquelle je qualifie cette théorie de meurtrière.
D : Dans ton livre tu parles de l’automutilation, de la compulsion de répétition. Qu’est-ce? Est-ce fréquent chez des victimes d’agression sexuelle? Comment en arrive-t-on à se faire cela?
M : La seule façon pour moi de prouver que j’avais été victime de sévices graves dès la petite enfance a été de me mettre à nu dans mon livre en décrivant tout ce que j’ai pu me faire subir à partir de l’âge de 13 ans, sans avoir aucune espèce d’idée de la raison de ce comportement. Lorsqu’on parle d’automutilation, on mentionne surtout la scarification. Or, ce dont j’ai souffert le plus a été une compulsion à répéter sur moi les sévices perpétrés par mon père de façon sadique et violente dès la petite enfance. En cachette, dans le plus grand secret (je n’en avais jamais parlé à personne tellement j’en avais honte), je mettais en scène des scénarios sadiques qui relèvent plus de la torture sexuelle et où je jouais à la fois le rôle de l’abuseur et de l’abusée. Une façon bizarre de m’attacher en faisant passer des cordes par la vulve et en y appliquant une tension progressive. Essayer aussi de me suspendre avec ces cordes entre mes jambes. Il serait long ici de décrire pourquoi les victimes en arrivent très souvent à reproduire les sévices soit sur elles-mêmes ou sur d’autres ou encore à se remettre en situation d’être revictimisées. Dr Muriel Salmona explique la raison de ces comportements en apparence paradoxaux dans ses écrits et aussi dans la préface de mon livre. Pour résumer rapidement, la victime se fait ces choses pour faire monter son taux d’adrénaline comme lors des sévices et cette montée d’adrénaline permet de faire disjoncter le cerveau qui continue à ne pas faire de liens avec ce qui s’est passé dans l’enfance. C’est comme une drogue dont on ne peut se passer pour rester « gelée ». Dr Salmona m’a dit que beaucoup de ses patients ont ces conduites d’auto-sévices. En parler serait nécessaire pour que ces personnes ne se sentent pas complètement seules et anormales, voire folles, comme je me suis si souvent sentie et aussi qu’elles comprennent la source de ces maux.
D : Dans ton livre tu parles de tes tentatives de suicide. Étaient-ce des appels à l’aide, un désir de mettre fin à la souffrance ou véritablement de mourir?
C’était toujours un désir de mettre fin à cette douleur morale insupportable d’entendre mon père me dire qu’il m’avait toujours chérie!! Et ma mère de m’exhorter à reprendre notre « belle » vie de famille. Même lorsque j’ai écrit le livre, je pensais toujours à en finir. Je me suis dit que je ne pouvais pas partir sans avoir laissé ce témoignage. La thérapie ne suffisait pas, même si j’avais enfin rencontré une thérapeute qui pouvait vraiment m’aider. Et puis, peu à peu, la thérapie a fait son chemin, je commence maintenant à VIVRE et je n’ai plus pensé à en finir une fois mon témoignage finalisé…
D : Merci Maritée d’avoir répondu si généreusement à mes questions. Bonne chance dans tes démarches d’édition en France et bonne route!
Merci pour votre présence Maritée et pour votre écoute.
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