mercredi 20 avril 2011

Isabelle : Comment surfer au-dessus


PAR SONIA PELLETIER

J’ai rencontré Isabelle l’année dernière par le biais de notre implication commune au sein du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) du KRTB. Isabelle est handicapée. Elle se déplace parfois en fauteuil, parfois en quadri porteur ou en béquilles. Pourtant, ce n’est pas ce qui m’a frappée chez elle. C’est plutôt son caractère frondeur et sa soif de défis. Malgré ses difficultés motrices, Isabelle nage et participe à plusieurs compétitions avec d’autres athlètes NON-HANDICAPÉS. Elle a également vécu une agression sexuelle. Je me considère chanceuse de la côtoyer, car elle a su m’insuffler du courage.  C’est donc avec une grande fierté que je vous présente Isabelle.

S.P. : Isabelle, c’est quoi ton incapacité ou ton handicap? D’abord, est-ce une incapacité ou un handicap?
Isabelle : C’est un handicap. Ça s’appelle la paraparésie spastique qui affecte uniquement les membres inférieurs. C’est un problème électrique à la base du cerveau qui occasionne un problème moteur. Tant que je vais faire du sport et que je vais me garder active et garder mes articulations en mouvement, il n’y a rien qui va s’arrêter.    
                                                                                                                           
S.P. : Qu’est-ce que ton handicap t’empêche de faire?
Isabelle: Ça m’empêche de courir. C’est à peu près ça. Sinon, je ne me mets pas de limites et je m’en laisse pas imposer.
 
S.P. : Tu as aussi été victime d’une agression à caractère sexuel. Peux-tu expliquer ce qui est arrivé?
Isabelle: Un ami de mon père m’a sauté dessus. C’est à peu près ce qui s’est passé. Mon père me faisait garder par un couple qu’il connaissait quand il avait des réunions le soir. C’est arrivé une soirée où la conjointe du couple en question n’était pas là.
Suivant l’agression, j’ai tenté de me suicider. Sauf que ce n’était pas très imaginatif de ma part… J’ai tenté de me suicider avec un rasoir Bic, une pioche en bon français. Quand j’ai vu que ça ne fonctionnait pas, je me suis dit que ce n’est pas lui (l’agresseur) qui aurait le dessus sur moi, mais que c’est moi qui aurait le dessus sur lui. J’en ai parlé à mon père une année ou deux après. Je me suis fait dire : « Qu’est-ce que ça va te donner de brasser de la merde? » Je me suis toujours tu pendant ces années-là. En étant déménagée ici, cet homme-là n’est plus dans mon environnement. J’ai donc toujours vécu avec ce secret-là. Ça ne fait pas des millions d’années que ma mère le sait. Je ne me suis jamais empêchée de vivre après l’agression, mais je tiens les garçons, les hommes surtout à distance.

S.P. : Est-ce que tu crois avoir été agressée parce que tu as un handicap, parce que tu es plus vulnérable?
Isabelle: Je ne crois pas que ce soit relié à mon handicap. C’est peut-être plus parce que j’étais une femme-enfant. Le corps que j’ai maintenant, je l’avais étant jeune.

S.P. : Est-ce que c’était parce que tu étais jeune?
Isabelle: Oui!
S.P.: Parce que tu te déplaces en fauteuil ou en quadri porteur, te sens-tu plus vulnérable?
Isabelle : Pas nécessairement. Les gens ne pensent pas que ce que je n’ai pas dans les jambes, je l’ai dans les bras. Moi, pour me défendre si une personne me saute dessus, je dois la ramasser par la ceinture,  la coucher par terre, m’asseoir dessus, puis la frapper tout en criant: «  Au feu! » afin qu’une autre personne appelle le 911.

S.P. : Donc… Tu as déjà suivi des cours d’autodéfense?
Isabelle: Oui. Ça fait quand même quelques années. Mais le fait de faire du sport m’a endurci la musculature du haut de mon corps.

S.P. : Ton handicap ne t’a pas empêché de faire du sport et de foncer dans la vie. Depuis quelques années, tu participes au défi amateur de la Traversée du lac Saint-Jean. Depuis quand nages-tu?
Isabelle: Depuis environ 25 ou 30 ans. Je participe seulement depuis 2003 à des compétitions. Ma première compétition a été Les Championnats canadiens des maîtres nageurs à Montréal au Centre Claude-Robillard. Quand je suis arrivée au centre d’entraînement, j’ai été impressionnée. C’était la première fois que je voyais le centre d’entraînement national. Je le voyais à la télé, mais en vrai, c’est différent.

S.P. : Excuse-moi. Est-ce qu’on parle bien du centre où s’entraînent les olympiens?
Isabelle: Oui. C’est bien là où les nageurs olympiques s’entraînent, que ce soit au niveau de la natation, du plongeon ou de la synchro. Le Club Kamo est un très très gros club. Il y a beaucoup de poulains qui vont aux Olympiques.                                                                             
Un fait à noter : je nage avec des gens qui ne sont pas handicapés. Au fil des ans, j’ai développé une endurance que les nageurs handicapés n’ont pas. Les nageurs handicapés physiques, quand ils font trois entraînements/semaine pendant une saison, ils en ont plein leur casque. Alors que pour moi, trois entraînements/semaine, c’est mon début de saison. Quand je suis dans mon « pic de saison », c’est cinq à six fois/semaine. Et la musculation n’est pas incluse là-dedans. Le fait de nager au lac Saint-Jean, en eau libre, c’est une autre affaire. C’est une autre façon de…

S.P. : C’est un autre défi?
Isabelle: Oui. C’est un autre défi. C’est juste pour relever le niveau de difficultés. Ce que j’aime, c’est de toujours entretenir le challenge, de toujours avoir du plaisir.

S.P. : Ça t’apporte quoi de participer à ce défi-là et de t’entraîner aussi intensément?
Isabelle: La grosse question! Premièrement, ça me fait quelque chose à faire. Deuxièmement, je rencontre plein de gens intéressants.

S.P. : Qu’est-ce que t’aime dans la nage?
Photo_offIsabelle: La sensation de bien-être. La sensation de liberté. Encore plus quand on est en lac. Quand je suis allée dans le fleuve Saint-Laurent cet été ou au lac Saint-Jean, c’est la même chose… En milieu naturel, c’est jamais les mêmes conditions météo. Autant pour la température extérieure que pour la température de l’eau, c’est une surprise.

S.P. : En plus de la nage, tu t’impliques au CALACS du KRTB, soit le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel du KRTB. Qu’est-ce que tu fais là-bas?
Isabelle: Je suis membre de la collective.

S.P. : C’est quoi une collective?
Isabelle: C’est un autre mot pour dire conseil d’administration, sauf que personne n’a de titre officiel. Ce que je trouve d’intéressant avec le CALACS, c’est qu’il n’y a pas de lutte de pouvoir entre les membres.

S.P. : Isabelle, as-tu un message à envoyer aux femmes handicapées?
Isabelle: Je dirais aux femmes handicapées qui ont vécu des agressions de quelque ordre que ce soit de ne pas hésiter à venir au CALACS parce qu’elles vont trouver une paire d’oreilles et l’écoute dont elles ont besoin.

S.P. : Est-ce que tu as un message à envoyer aux femmes (en général) victimes d’agression sexuelle?
Isabelle: C’est la même chose que pour les femmes handicapées. Ne pas hésiter à s’ouvrir, ce qui leur permettra de grandir et d’évoluer pour guérir. Grandir? Malgré tout, je ne sais pas si on sort grandi de ces affaires-là. En tout cas, elles vont être capables de contrer s’il y a quelque chose d’autre qui survient  après ça. Elles vont être capables de mettre leur pied à terre et de dire : « non ».

S.P. : Merci Isabelle. Tu as été généreuse dans tes réponses.
Isabelle: Bienvenue.

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Lancement de la biographie d’Isabelle Sauvé

L’auteure Sonia Pelletier et la nageuse handicapée en eau libre Isabelle Sauvé sont heureuses de vous présenter la biographie intitulée Un fauteuil sur le quai. L’ouvrage a été lancé à la Maison de la culture de Rivière-du-Loup, le 14 février dernier. Celui-ci relate la vie et la carrière sportive de la nageuse.

Malgré une paralysie légère des membres inférieurs ainsi que des troubles neurologiques, Isabelle Sauvé nage depuis de nombreuses années. Elle a participé à plusieurs compétitions de natation, tels les Championnats canadiens des maîtres nageurs où elle a remporté une première place au 100 mètres libres dans sa catégorie d’âge en 2003. Elle a également gagné la médaille du courage pour sa participation au Défi amateur de la Traversée internationale du lac Saint-Jean la même année. 

Isabelle Sauvé a fait équipe avec Sonia Pelletier, auteure et rédactrice Web, pour produire sa biographie. Un fauteuil sur le quai a été tiré à 200 exemplaires dont presque la totalité a déjà été vendu. L’auteure et la nageuse pensent à une réédition.

Pour se procurer Un fauteuil sur le quai, prière d’écrire à l’auteure : pelletier_sonia@hotmail.com.

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